L’histoire municipale de la ville d’Arras remonte authentiquement au XIIème siècle. A dater de cette époque jusqu’à nos jours, elle repose sur une série non interrompue de documents qui permettent de suivre pas à pas toutes les vicissitudes qu’elle a éprouvées et qui font une monographie des plus instructives et des plus intéressantes.
Mais antérieurement au XIIème siècle, il est probable que le régime municipal était déjà établi à Arras. On peut même affirmer qu’il n’a jamais cessé d’exister depuis les temps de la conquête romaine. En effet, Arras, ville importante lorsque César s’en empara, devint sous les empereurs un des municipes les plus considérables du Nord de la Gaule.
L’invasion barbare ne dut point changer cet état de choses, car on sait tout le respect que les Germains professèrent pour le régime municipal des Romains. Eux, chez qui l’assemblée de la tribu, l’antique mallum, était une espèce de dogme politique, ne devaient pas s’étonner de voir les habitants d’une cité délibérer sur leurs intérêts communs, et ils étaient naturellement portés à conserver les institutions municipales partout où ils les trouvaient établies.
Tout fait donc présumer qu’à aucune époque la ville d’Arras ne fut dépourvue d’une sorte de gouvernement intérieur. C’est ce qui explique pourquoi nous ne la voyons pas prendre part au mouvement communal des XIème et XIIème siècles. Elle n’avait pas besoin de réclamer des droits dont elle était en possession.
D’ailleurs, on peut saisir quelques traces fugitives de l’existence municipale d’Arras dans ces temps reculés. Ainsi une lettre du pape Pascal, de 1112, charge plusieurs habitants de cette ville d’arranger un différend existant entre l’évêque et les moines de Saint Vaast. Parmi ces habitants, indiqués comme étant Atrebatensis municipii cives, l’un, et c’est le premier, est désigné comme major (sans doute mayeur), et les autres, comme boni viri. Or, on sait que ces mots sont ordinairement synonymes de scabini, échevins.
Ainsi, à Arras comme ailleurs, on peut dire que la liberté est l’état ancien, et que le despotisme seul est de date récente. C’est à développer cette idée qu’on s’est attaché dans cette notice. Pour plus de clarté, le sujet sera divisé en trois périodes : de 1194 à 1384, de 1384 à 1640, et de 1640 à 1789. La première de ces périodes correspond à l’époque des comtes d’Artois, la seconde, à la domination bourguignonne et espagnole, et la troisième, à la réunion de la province à la France. Ces périodes répondent également à des mouvements communaux très sensibles soit en avant, soit en arrière.
Le plus ancien document concernant l’organisation communale de la ville d’Arras est une charte de Philippe-Auguste, de 1194. Cette charte est une preuve de plus de la préexistence d’une constitution municipale déjà très ancienne. En effet, elle a plutôt pour but de régulariser un ordre de choses établi, que d’en fonder un nouveau. Il y est dit en propres termes que les dispositions qu’elle contient ne sont prises que salvo jure maioris Atrebatis quale debet habere et omnium aliorum. Aussi n’est-il rien innové quant aux élections du mayeur et des autres officiers, sans doute parce que ces points avaient fait l’objet d’autres règlements.
Mais ce qu’il y a de remarquable dans cette charte, c’est l’esprit libéral qui y domine. Elle organise la commune de la façon la plus démocratique : jamais le self government ne sera pratiqué plus largement. On sent qu’on est en plein dans ce mouvement révolutionnaire qui fonda la liberté communale du moyen âge, et qui n’eut peut-être d’égal que celui qui fonda la liberté politique en 89.
D’après la charte de 1194, la ville d’Arras était administrée de la manière suivante :
1) Un mayeur. Il devait être élu par le peuple, et conservait ses fonctions tant qu’il le voulait. Il était le chef et le président des échevins; mais il ne pouvait assister aux audiences judiciaires de l’échevinage, ainsi qu’aux assemblées ayant pour but l’élection des échevins et le répartissement de la taille et tonlieu. On voit quelles précautions nos pères savaient prendre contre les abus du pouvoir.
2) Douze échevins. Ils administraient gratuitement, et devaient être réélus tous les ans.
3) Des conseillers de ville. Ils avaient pour mission de donner des avis aux échevins sur les procès à juger et sur les affaires administratives intéressant la commune. Ils recevaient un salaire convenu de gré à gré.
4) Un procureur de ville, requérant comme le ministère public auprès de nos tribunaux.
5) Un greffier civil et criminel, appelé clerc, assistant aux assemblées et ayant des droits de greffe. Il avait, en outre, une attribution très remarquable : c’était de coopérer à l’administration par la voie d’aide ou de représentation.
6) Enfin, comme si l’élément démocratique n’était pas encore assez fortement représenté dans ce système, douze bourgeois élus pouvaient prendre connaissance de toutes les affaires décidées par l’échevinage, et les contrôler au cas de besoin. C’est l’application de ce principe républicain que la liberté vit de méfiance.
Les affaires traitées par l’échevinage étaient extrêmement variées. Elles étaient administratives et judiciaires. En fait d’administration, l’échevinage avait des pouvoirs beaucoup plus étendus que les conseils municipaux de nos jours, puisqu’il dirigeait lui-même tout ce qui intéressait la cité, et que le mayeur n’était que le premier des échevins, primus inter pares. En fait de justice civile et criminelle, il l’exerçait de la manière la plus large. En effet, au civil, il connaissait tous les procès, de quelque importance qu’ils fussent, existant entre bourgeois de la ville d’Arras. Au criminel, sa compétence était illimitée (Lettres patentes de 1324 et 1325).
Tel est le point de départ de notre régime municipal. Les différents fonctionnaires que nous venons d’indiquer composaient ce qu’on appelait la loy ou le magistrat. En entrant en charge, chacun d’eux prêtait un serment dont les formules nous ont été religieusement conservées dans un livre où personne n’est oublié, depuis le mayeur jusqu’au bourreau.
Concurremment avec le magistrat fonctionnaient les représentants du prince. C’est ce que la charte de Philippe-Auguste appelle justicia nostra.
Primitivement, le véritable représentant du prince était le comte; mais les comtes étant devenus à peu près indépendants, leurs fonctions furent remplies par les baillis ou sénéchaux, d’où naquit plus tard cette grande division de la France en bailliages et sénéchaussées, qui servit de base pour les élections de l’Assemblée Constituante.
L’indépendance des comtes finit par dépouiller la monarchie du droit d’avoir des représentants auprès des localités. Dès lors les baillis furent institués par les comtes dans leurs villes.
Arras avait aussi son bailli, institué d’abord par le roi, et ensuite par le comte d’Artois.
Le bailli ne pouvait faire partie du corps échevinal : la charte de Philippe-Auguste le dit positivement. Outre le bailli, le prince était représenté par le châtelain. Cet officier avait pour mission de faire arrêt en la loi et ville de toutes personnes qui se voulaient clamer l’un sur l’autre, ou faire arrêter l’un l’autre pour dettes et tous cas personnels et civils. Le châtelain n’était donc qu’un véritable geôlier, mais un geôlier jouissant du droit de faire exécuter de sa propre autorité les sentences civiles et criminelles, ayant sa prison en propre, appelée châtellenie, située où est aujourd’hui la salle de spectacle, et étant même parvenu à ériger en fief ses redoutables fonctions.
Le bailli et le châtelain prêtaient serment en la loi, l’un pour garder la justice criminelle, l’autre pour garder les prisonniers. Ce système est certainement le plus large qui ait existé dans les institutions municipales de la ville d’Arras, il resta en vigueur près d’un siècle.
Pourtant en 1211, Louis VIII, en confirmant la charte de son père, y apporta déjà quelques modifications restrictives. Ainsi l’élection cesse d’être directe : elle a lieu à plusieurs degrés, par un mode assez bizarre, dont il restera toujours une réminiscence dans tous les changements postérieurs. A l’expiration de leurs fonctions, les douze échevins choisissent quatre personnes, lesquelles en choisissent quatre autres, et ces quatre dernières aussi quatre. L’échevinage ainsi constitué devait durer quatorze mois.
Les prohibitions pour cause de parenté et d’alliance sont déjà prévues : il ne pouvait y avoir dans l’échevinage ni cousins germains, ni plus proches, ni beaux-pères, ni gendres. Il en était de même à l’égard du mayeur.
On voit également posés dans cette charte les principes de la séparation comptable et de l’ordonnateur : il y est enjoint aux échevins de choisir quatre personnes pour recevoir les deniers de la commune et leur en rendre compte. C’est l’origine des argentiers. Ces officiers, outre leurs fonctions financières, coopéraient à l’administration des échevins lorsqu’ils y étaient invités. Ils recevaient un traitement convenu de gré à gré et prêtaient serment.
Enfin dans la charte de Louis VIII se trouve une immunité dont les échevins devaient être très jaloux : c’est l’exemption des tailles et impôts.
Sous Saint Louis l’Artois cesse de relever directement de la couronne. Il devient un fief au profit de Robert, frère du roi, qui fonda la première maison d’Artois.
Robert II ayant succédé à son père, tué à la bataille de La Massoure, donne, en 1268, à la ville d’Arras, une nouvelle charte confirmative. Cette charte autorise, en outre, la levée des tailles qui se faisait par les échevins sur les bourgeois.
Robert II s’occupa d’une manière particulière de l’échevinage d’Arras. En 1274, il lui accorde le droit d’avoir des poids et d’imposer toutes sortes de marchandises et denrées.
Une autre mesure bien plus radicale fut prise par lui en 1300 relativement aux finances municipales : les échevins, à l’issue de charge, durent laisser la ville quitte de toutes dettes, à peine d’en être tenus en leur nom privé. Si cette mesure était encore en vigueur, les finances de tant de villes ne seraient pas si obérées : reste à savoir si on trouverait autant de candidats aux fonctions municipales. Il est vrai que les revenus de la ville étaient alors bien modiques, puisqu’ils ne s’élevaient, taille comprise, qu’à trois mille livres.
Lorsque les charges publiques excédaient ces ressources, les bourgeois contribuaient au déficit en proportion de leur fortune. En conséquence, chacun apportait aux échevins un brevet ou écritel contenant l’état sommier de ses moyens et de ses dettes, et était tenu de jurer par serment que le contenu du brevet était véritable. C’est encore ainsi que l’income-taxe se perçoit en Angleterre. Qui se serait douté que l’impôt proportionnel existait déjà à Arras au XIVème siècle ?
Mais la réforme la plus importante opérée par Robert II est celle qui concerne le mayeur. Sa charge est érigée en fief héréditaire en faveur de Simon FAVREL et de ses héritiers moyennant un relief de soixante sols parisis.
La composition de l’échevinage reçoit également une grave modification. Désormais un échevin sortant ne doit être réélu qu’après trois ans, et on ne peut être continué échevin plus de deux années. Enfin nul ne peut être argentier s’il n’a de vaillant plus de cinq cents livres.
Robert II fut tué en 1312 à la bataille de Courtray. C’est alors que Mahaut succéda au comté d’Artois, à l’exclusion de Robert, son neveu, parce que la représentation n’avait pas lieu dans cette province.
Cette princesse autorisa les mayeur, échevins et toute la communauté de la ville à établir vingt-quatre prud’hommes renouvelés par chaque échevinage, dans le mois après l’élection des échevins. Ces vingt-quatre devaient, concurremment avec les échevins, prendre connaissance de tout ce qui intéressait les revenus et les recettes de la ville. C’est l’origine de ces assemblées de notables, qui ont duré jusqu’à la Révolution, et qui ont bien plus de ressemblance avec nos conseils municipaux que l’échevinage lui-même. En effet, dans l’état un peu effacé où se trouvait le mayeur, c’était les échevins qui administraient; quant aux notables, c’étaient eux qui étaient consultés. Cette distinction est très importante pour comprendre le jeu respectif de ces deux rouages dans l’administration de la cité.
En même temps s’affirmait un principe auquel nos pères paraissent avoir attaché la plus grande importance : c’est celui des incompatibilités. Toute personne aux gages du comte d’Artois ne pouvait être en office de la ville. Il en était de même de tous ceux qui dépendaient, de quelque manière que ce fût, de l’abbaye de Saint-Vaast. Ce principe a été de nouveau consacré en 1356 dans une assemblée des échevins, présent le peuple et les vingt-quatre. Il y fut décidé qu’un bourgeois ne pouvait être échevin et en même temps au service du comte d’Artois, de ses gens ou gouverneur, des abbés et religieux de Saint-Vaast, de l’évêque d’Arras ou du chapitre, à peine de cent livres d’amende. Il en était de même de l’argentier.
Cela montre avec quel soin les libertés municipales étaient alors défendues. Les archives de la ville en fournissent encore une autre preuve. La loi n’ayant pas été renouvelée, en 1304, la comtesse Mahaut, sur les réclamations qui lui en furent adressées, fut obligée de reconnaître, par lettres datées de 1306, qu’elle n’avait entendu déroger en rien aux antiques franchises.
C’est à cette époque que remonte l’institution du gouverneur d’Arras. Il fut établi par Philippe de Valois, qui mit l’Artois sous sa sauvegarde et protection en 1329, lors du décès de Jeanne, veuve de Philippe le Long. Cette princesse était morte à Roye lorsqu’elle allait prendre possession du comté d’Artois, qui lui était échu du chef de sa tante Mahaut.
Jeanne, sa fille aînée, succéda au comté d’Artois. Ce fut elle, ou plutôt son mari, le comte Eudes, qui autorisa les habitants d’Arras à établir la maltôte, sous la condition que le tiers de cet impôt lui serait attribué. Cette condition bien légitime devint pourtant pour la ville une véritable calamité, et fournit aux gens du seigneur l’occasion de s’immiscer dans l’examen des finances municipales.
A la mort de la comtesse Jeanne, son petit-fils Philippe lui succéda sous la tutelle de sa mère, qui avait épousé en secondes noces Jean 1er, roi de France.
Sous ce prince eurent lieu à Arras de grands troubles à l’occasion des impôts. Ces troubles coûtèrent la vie à dix-sept personnes. Le maréchal d’Audenehem fut envoyé pour prendre connaissance des faits. A la suite d’une enquête sévère, quatorze coupables furent décapités; leurs corps furent pendus au milieu des champs, et leurs têtes placées au-dessus des portes de la ville. Après ces exécutions, le roi, à la requête des mayeur, échevins et habitants d’Arras, accorda, en 1356, des lettres d’abolition, qui existent encore aux archives.
En 1347, l’échevinage avait eu à soutenir une lutte contre les officiers du comte d’Artois, qui voulaient qu’avant toute élection la liste des candidats fût soumise à leur approbation. Cette prétention subversive de la liberté des suffrages fut repoussée par lettres patentes du roi.
Philippe étant mort à l’âge de quatorze ans, sa grand-tante, Marguerite de France, épouse de Louis de Nevers, comte de Flandre, lu succéda.
C’est sous cette princesse, en 1371, que la ville d’Arras fut pour la première fois obligée de s’imposer pour l’entretien de ses fortifications. Cet usage passa en habitude et donna lieu aux impositions connues sous le nom de fermes des fortifications.
Marguerite d’Artois se sentant forte de l’appui du comte de Flandre son mari, essaya de confisquer à son profit certaines franchises de la ville. Mais elle trouva de courageux adversaires et elle finit par consentir à un concordat, qui fut homologué en 1379 au parlement de Paris.
Ce concordat contient trente et un articles qui donnent certaines satisfactions au prince, mais qui conservent intacts la plupart des droits fondamentaux de la ville. Ainsi la comtesse a le pouvoir de mettre capitaine dans la ville, en cas de guerre, mais il faut pour cela qu’elle obtienne l’agrément du mayeur et des échevins. De plus, en cas d’effroy de guerre, l’état de siège n’est nullement reconnu : le capitaine, le bailli, les mayeur et échevins font conjointement les ordonnances et défenses.
Les gens de la comtesse doivent être appelés à l’apurement des comptes de la ville. Quant aux élections des échevins, la comtesse peut nommer quatre bonnes personnes et convenables bourgeois; les échevins en nomment quatre autres, et ces huit personnes en nomment quatre.
La liberté de l’industrie est proclamée. Tout individu peut venir exercer une profession dans la ville d’Arras. Principe fort remarquable au moyen âge.
Le contrôle des vingt-quatre devait être gênant : on s’entend avec la comtesse pour le restreindre. Il leur est défendu dorénavant de s’entremettre de rien plus avant qu’il leur est ordonné par leur fonction laquelle sera vue.
En attendant on commence par modifier leur mode de nomination. Les vingt-quatre de l’année précédente en nomment huit, la comtesse et les échevins de l’année en désignent également huit, et ces seize choisissent les huit autres. Il est bien entendu que les échevins et les vingt-quatre doivent toujours appartenir à la bourgeoisie : c’est la caste privilégiée, le patriciat communal.
Cette charte avait aussi son article quatorze. Il y est dit que Madame retient à elle la jouissance de pourvoir et remédier à toutes choses qui écherront, selon ce qui lui semblera à faire pour raison et par justice. Ces termes sont, on le voit, très élastiques; mais il faut reconnaître que jamais les anciens comtes d’Artois n’eurent recours aux ordonnances de juillet.
Ainsi s’en allait pièce à pièce l’édifice construit par Philippe-Auguste : le régime municipal de la ville d’Arras est désormais oligarchique; il le sera chaque jour davantage sous la maison de Bourgogne, jusqu’à ce qu’il devienne monarchique par la réunion à la France.
On sait comment l’Artois passa des descendants de Robert 1er à ceux de Philippe le Hardi. Louis de Male, comte de Flandre, ayant succédé en 1382 au comté d’Artois par la mort de sa mère Marguerite, réunit en sa personne la Flandre et l’Artois. Mais il mourut l’année suivante laissant une fille nommée Marguerite, qu’il avait eue de son mariage avec Marguerite de Brabant. C’est le mariage de cette princesse avec Philippe le Hardi qui donna l’Artois aux Bourguignons, puis aux Espagnols.
Les Ducs de Bourgogne étaient de grands organisateurs. Aidés des conseils d’hommes expérimentés, ils cherchaient surtout à mettre l’ordre dans leurs nombreux Etats. L’Artois se ressentit de cette tendance. Dès 1400, un règlement, où l’on retrouve plusieurs des précautions en usage dans la comptabilité moderne, s’applique aux finances de la ville d’Arras. Les recettes et les dépenses doivent être inscrites sur des feuilles de parchemin cousues les unes aux autres et se mettant en rouleau. On compose ces comptes en forme de registre. Les noms des échevins et de l’argentier rendant compte sont mis en tête. On reprend dans la clôture les noms des personnes auxquelles ils sont rendus. Ils doivent être signés comme bons et réglés par le gouverneur, le mayeur, les échevins, les conseillers, le clerc et les autres officiers et bourgeois ayant entrée en halle de l’échevinage.
En même temps on organisait des offices spéciaux de surveillance sur chacune des parties de l’administration municipale; ces offices étaient divisés en autant de classes que les échevins le jugeaient nécessaire. Les échevins y nommaient dans le mois qui suivait leur élection.
Ces offices étaient : 1° La vingtaine. Elle se composait de neuf personnes choisies dans le corps des marchands, ayant à leur tête deux échevins sortant de charge. Leur mission consistait à visiter les balances, poids, aunes et mesures. Ils avaient une espèce de tribunal siégeant à l’hôtel de ville qui condamnait les contrevenants à l’amende, sauf doléance des condamnés par-devant le magistrat. Cette juridiction a duré jusqu’à la Révolution.
2° L’office du grand-marché, ayant son tribunal sur la Grand-Place, composé de six bourgeois famés, ayant à leur tête deux échevins sortant de charge. Ils avaient inspection sur le mesurage et la vente des grains, la qualité du pain, son poids, la jauge des bois, etc... Ils infligeaient des amendes. En ce qui concerne le marché, cet office a été remplacé par une organisation que toutes les localités envient à la ville d’Arras, et qui est une des sources de sa prospérité.
3° L’office du poisson. Il avait son tribunal sur la place du Châtelain. Il était composé de trois bourgeois et trois poissonniers pour égarder le poisson. Ils avaient à leur tête deux échevins régnants. Ils décidaient tous les différends entre poissonniers, et condamnaient les contrevenants suivant les ordonnances de police. Il existe encore des égards au poisson, mais combien ils sont déchus de leur antique splendeur !
On comptait aussi dix ou douze offices, tels que ceux des boucheries, de l’étain, des cuirs, des toiles, de lattes, de la graisse, des serruries, etc..., composés de quatre ou six personnes pour égarder les marchandises. Mais ces offices n’avaient pas le pouvoir de prononcer des amendes : ils pouvaient seulement faire comparaître les contrevenants en halle par-devant les échevins semainiers.
Cette organisation de l’industrie a été justement réprouvée par les principes de l’économie politique. Pourtant, à voir les fraudes que se permet trop souvent le commerce moderne, on se demande si une sage réglementation ne vaudrait pas mieux, dans certaines circonstances que la liberté absolue ?
Une autre résolution mérite de fixer l’attention. Jusqu’alors, toutes les fois que l’échevinage avait des affaires litigieuses, il consultait des hommes de loi, comme cela se fait aujourd’hui. Mais il parait que les contestations étaient tellement fréquentes, qu’on préféra avoir un avocat en titre. On ne put trouver à Arras l’homme qu’on cherchait, et l’on fut obligé de faire venir de Montreuil Maître Jehan TUBINE, licencié es lois, avec lequel on passa un traité en bonne et due forme, qui moyennant deux cents livres par an, assurait à la ville le monopole des conseils de ce jurisconsulte probablement fort distingué. Mais, en véritable homme de loi, Maître TUBINE eut soin de prendre toutes ses précautions. En effet, il est dit dans le traité que les deux cents livres seront payées à Maître TUBINE sa vie durant, et que pour sûreté de ce paiement, la ville submet, oblige et hypothèque tous ses biens et revenus présens et à venir.
La réunion des charges de gouverneur et de bailli date aussi de cette époque. Le gouverneur fut désormais astreint à présenter à l’échevinage ses lettres de provision. Il dut prêter serment entre les mains du mayeur. Il désignait un lieutenant, qui remplissait les fonctions de fiscal auprès de l’échevinage.
En 1414, une nouvelle réforme a lieu dans le régime municipal de la ville d’Arras. La charge de mayeur, après avoir été élective, puis héréditaire, redevient élective; mais, au lieu que l’élection soit faite par le peuple, c’est le prince qui confère cette dignité chaque année, la veille de la Toussaint, à un bourgeois natif d’Arras, idoine et suffisant. Ainsi le dispose une charte de Jean Sans Peur. Pour arriver à ce résultat, le duc de Bourgogne racheta la charge de mayeur à Colart de Monbertaut, chevalier et chambellan, moyennant une somme de huit cents livres, et la réunit à son domaine.
Le corps échevinal fut alors composé du mayeur nommé par le comte, de douze échevins, dont quatre choisis par le comte, quatre par les anciens échevins, et les quatre autres par les huit élus; de deux conseillers, d’un procureur, d’un greffier, d’un contrôleur et d’un argentier.
Il est facile de mesurer tout le chemin parcouru depuis Philippe-Auguste. L’échevinage passe de plus en plus sous l’influence du souverain. Pour qu’il ne restât aucun doute à cet égard, il fut décidé que les mayeur, échevins et argentier seraient vêtus à la livrée du duc. On regarda sans doute comme comme un grand honneur d’endosser l’uniforme, mais c’était aux dépens des libertés locales.
Au reste, ceux qui portaient ces uniformes avaient au moins l’avantage de ne pas les payer. Chaque échevin retenait sur le domaine de la ville huit livres de cire, six pots de vin et une robe pendant l’année d’exercice. C’était une dépense d’environ quatorze livres pour la commune.
Il est vrai que les fonctions d’échevins étaient assez assujettissantes. Ils devaient se trouver les jours de lundi, mercredi et samedi en halle de l’échevinage, depuis la Toussaint jusqu’à Quasimodo, en dedans le son de la cloche, qui sonnait entre huit et neuf heures du matin pendant une demi-heure pour besoigner es affaires de la ville, et ne partir avant onze heures sans le congié des deux premiers qui sont au siège assis. Les échevins étaient, de plus, tenus, en dedans un mois de leur élection, d’avoir un cheval à l’étable à peine de vingt livres.
Le premier mayeur nommé en vertu de la charte de Jean sans Peur fut SACQUESPEE, mais le principe de la nomination annuelle ne se maintint pas longtemps, car, dès 1452, on voit Jacques LEJOSNE pourvu du fief, office et état de la mairie d’Arras, pour en jouir pendant sa vie, suivant commission de Philippe le Bon. Ainsi le pouvoir souverain, après avoir confisqué l’élection à son profit, ne conserve même pas le renouvellement annuel.
C’est sous Philippe le Bon, en 1463, qu’eut lieu la création des quatre commis aux ouvrages et de leur clerc, qui remplacèrent le contrôleur de la ville. On appliqua à ces commis la moitiés des gages du contrôleur et l’autre moitié à leur clerc. Ils avaient à l’hôtel de ville leur chambre particulière; mais ils ne faisaient pas partie du corps de la loi, et n’allaient en chambre du conseil que quand ils étaient appelés ou qu’ils demandaient audience.
Avec Philippe le Bon, la ville d’Arras parvient à l’apogée de sa splendeur. C’est alors que fut réuni dans ses murs un des congrès les plus importants dont l’histoire fasse mention. Ce congrès, connu sous le nom de paix d’Arras (1435), fut suivant le père Ignace, " la plus grande, la plus noble et la plus célèbre assemblée dont on ait entendu parler dans tout ce siècle. Tous les princes de la chrétienté y avaient leurs ambassadeurs, le Pape et le concile chacun son légat. Les fourriers y marquèrent les logis pour dix mille chevaux."
Mais la scène va changer : nous arrivons au règne de Louis XI et aux tristes souvenirs qu’il laissa dans la mémoire des habitants d’Arras. Néanmoins ce print parut d’abord animé des meilleures intentions. Comme suzerain du duc de Bourgogne, il visita Arras en 1463 et y fut parfaitement reçu. On sonna même si fort les cloches à cette occasion, que celle appelée Joyeuse, pesant dix-sept mille livres, en fut cassée.
Cette entrée donna lieu à un autre incident. D’après les privilèges de la ville, le suzerain lui-même ne pouvait rappeler les bannis à plus de cinq ans. Un archer, condamné à un bannissement supérieur, ayant profité de l’entrée du roi pour le suivre, le magistrat réclama et obtint satisfaction. Ainsi le droit de grâce lui-même pâlissait devant les franchises communales.
Ces bonnes relations ne durèrent pas longtemps. A la mort de Charles le Téméraire, Louis XI profita de la jeunesse de Marie de Bourgogne pour s’emparer de l’Artois. Il vint assiéger Arras. Philippe de Crèvecoeur, qui commandait la Cité, la rendit, ou plutôt la vendit aux Français. Le siège de la ville commença aussitôt. Les habitants, désirant connaître les intentions de la comtesse, qui était à Douai, sollicitèrent et obtinrent de Louis XI la permission d’envoyer vers cette princesse vingt bourgeois, échevins, conseillers et marchands. Malgré le sauf-conduit dont ils étaient munis, ces malheureux furent arrêtés, conduits à Hesdin et décapités.
La ville d’Arras se rendit le 8 mai 1477, à condition que les soldats pourraient se retirer librement, et que les bourgeois conserveraient leurs privilèges. Louis XI tint à sa manière les promesses de clémence qu’il avait faites. Il ne voulut pas entrer par les portes de la ville, mais il fit pratiquer une brèche par laquelle il passe à cheval. Son premier soin fut d’abolir les privilèges de la commune. Puis il fit décapiter plusieurs personnes et expulser un grand nombre de bourgeois. C’est le commencement de ce système d’expatriation qu’il poursuivit plus tard sur une si grande échelle.
Ces mesures n’étaient pas faites pour lui concilier les cœurs d’une population si profondément attachée à la maison de Bourgogne. Aussi, lorsque la guerre éclata entre lui et Maximilien d’Autriche, qui avait épousé Marie, les bourgeois d’Arras cherchèrent-ils toutes les occasions de faire échouer ses entreprises. Ce furent eux qui causèrent en partie son échec devant Douai par les avis qu’ils donnèrent à cette ville. Sa vengeance fut terrible. Il expulsa le reste des bourgeois leur ordonna, sous les peines les plus sévères, de se retirer à Paris, à Rouen ou à Tours, et les remplaça par de nouveaux habitants. Il voulut abolir jusqu’au nom d’Arras, et lui substitua celui de Franchise. C’est ainsi que Collot-d’Herbois appelait Commune affranchie la ville de Lyon, qu’il venait de mitrailler. Faut-il s’étonner que Louis XI ait été pendant si longtemps en exécration parmi nous, à ce point que les mères en faisaient peur à leurs enfants sous le nom du roi bossu.
Mais si Louis XI persécuta les anciens habitants d’Arras, il combla de faveurs ceux qu’il avait appelés pour les remplacer. Par une charte de 1481, il leur concéda des privilèges bien plus étendus que la ville d’Arras n’avait jamais eus. Il alla même jusqu’à accorder la noblesse aux échevins présents et à venir.
Ce n’était pas ainsi qu’il fallait réparer les maux qu’on avait faits. Aussi Charles VIII s’attacha-t-il à suivre une toute autre politique. Par une charte du 13 janvier 1483, il rétablit et réintégra les bourgeois et habitants de la ville d’Arras qui avaient été expulsés pendant le règne de son père, dans tous leurs biens, privilèges, franchises, libertés, usages et coutumes, pour en jouir et user ainsi qu’ils faisaient avant leur trouble et expulsion.
Malgré ces concessions, les habitants d’Arras regrettaient toujours la maison de Bourgogne. Aussi lorsque la guerre recommença, une trahison rendit Arras à ses anciens maîtres (1492). Le chef de cette conjuration était un boulanger nommé Jehan Le Maire dit Grisart, à cause de ses cheveux gris. Philippe le Beau, fils de Maximilien, l’en récompensa en lui donnant à titre viager la place de mayeur, qui, à sa mort, survenue en 1509, passa même à son fils Louis Le Maire. C’était peut-être pousser un peu loin la reconnaissance. Pourtant, il paraît que Jehan Le Maire n’était pas indigne de la haute position où le hasard des révolutions l’avait porté, au moins s’il faut en croire l’épitaphe de son tombeau existant dans l’église Saint Jean en Ronville.
C’est ici que se montre la grande figure de Charles Quint. Devenu comte d’Artois, par suite du décès de son père Philippe le Beau, il administra cette province avec cette hauteur de vues dont il fit preuve dans le gouvernement de ses nombreux Etats. Pour n’en citer qu’un exemple, il faut rappeler que c’est à lui que l’Artois est redevable de la rédaction de sa coutume. La ville d’Arras en particulier ressentit les effets de cette sagesse, qui s’étendait à tous les détails de l’administration, et qui rappelle un peu le soin continuel que Napoléon donnait même aux moindres affaires. Ainsi il établit à Arras les premiers bureaux de bienfaisance, sous le nom de bourse des pauvres. Il autorisa le mayeur à se faire aider dans ses fonctions par un lieutenant ou commis : c’est la première fois qu’on voit figurer les adjoints dans l’histoire municipale d’Arras.
L’hôtel de ville fut aussi construit sous ce prince. On le plaça, dit le Père Ignace, dans l’endroit où étaient ci-devant les rôtisseurs, traiteurs et cuisiniers. Le beffroi ne fut achevé qu’en 1551. Son horloge, avec le carillon, fut faite en 1541 par Jacques HUBERT, bourgeois d’Arras et habile horlogeur.
Avec Philippe II le souffle de l’intolérance religieuse passe sur Arras et produit les plus facheux résultats. Ce sont d’abord des lettres-patentes relatives à la publication et à la réception du concile de Trente. En vertu de ces lettres, nul ne pouvait être échevin ou remplir aucun office de la ville s’il ne faisait profession de foi.
Cette intolérance donna lieu à des troubles où l’échevinage joua un bien triste rôle. La crainte de l’entrée des troupes espagnoles à Arras ayant amené la formation d’un gouvernement populaire sous le nom des quinze tribuns, l’échevinage, un moment dépossédé de son autorité, s’en vengea d’une manière terrible. Par des procédés dignes du tribunal révolutionnaire, il fit périr l’illustre GOSSON et presque tous les chefs du mouvement. Cet épisode, écrit en lettres de sang dans les annales d’Arras, est connu sous le nom d’histoire des Verds-Vêtus. Le Père Ignace rapporte que quand le duc Alexandre Farnèse apprit les exécutions qui venaient d’avoir lieu, il fit faire dans son camp des réjouissances, fit tirer le canon, et ordonna une procession générale dans la ville de Namur.
Pour revenir à des choses moins tristes, signalons le placard de 1588, qui décide que les échevins recevront chaque année deux robes de drap noir, l’une du plus fin, et l’autre de moindre prix. Mais il leur était enjoint par chacun jour tenir bloucques. Ils devaient être habillés en noir les jours de halle et ne jamais entrer au parquet avec épée. Une autre disposition défendait aux échevins d’être en même temps marguilliers. Il paraît que ces modestes fonctions étaient plus dangereuses alors qu’aujourd’hui.
N’oublions pas que c’est sous Philippe II, en 1575, que la Scarpe fut rendue navigable et que le Rivage fut creusé. Ces travaux étaient pour nos pères ce que les chemins de fer sont pour nous.
Cependant un gouvernement plus tolérant allait présider aux destinées de l’Artois. C’est celui des archiducs Albert et Isabelle. Leur entrée à Arras donna lieu à des fêtes magnifiques qui font encore époque dans l’histoire de la réception des souverains parmi nous.
Leur attention se porta d’une manière toute particulière sur la question si souvent débattue des incompatibilités dans les fonctions d’échevins par suite de parenté ou d’alliance. Des décisions de 1607 et 1609 règlent ces points délicats. En 1610, des mesures restrictives firent prévaloir définitivement l’élément aristocratique dans les assemblées de la bourgeoisie. Sous prétexte qu’il s’y introduisait des personnes de toutes sortes de métiers et de basse condition, on ne les composa plus que de notables et de ceux qui auront été évocqués gens de bien et qui ayant jugement pour bien adviser sur ce que leur sera proposé tant pour le service de Leurs Altesses que pour le bien de la ville. C’est-à-dire qu’il n’y eut désormais d’admis que ceux qui convenaient aux échevins. En 1675, on alla même plus loin. Afin d’obvier aux assemblées tumultueuses telles que celles des années 1576 et 1577, qui semblent avoir été pour nos pères un objet d’effroi comme 93 l’est pour nous, le magistrat résolut qu’il ne serait plus appelé aux assemblées bourgeoises que vingt-quatre notables, et encore ces notables ne devaient être choisis que parmi les personnes qui avaient été en charge. Il était impossible de prendre plus de précautions contre le désordre et en même temps de mieux fausser l’esprit de l’institution.
L’échevinage n’en conservait pas moins une grande indépendance. Ainsi il repoussait de son sein Guillaume de CUNINGHEM et Jean LALLART, docteurs en médecine, parce qu’ils étaient pensionnaires de l’abbaye de Saint Vaast, et Jean CRUGEOT n’était admis, en 1639 qu’après avoir renoncé à la pension qu’il touchait en qualité d’avocat de cette abbaye. On se rappelle avec quelle persévérance l’échevinage maintenait le même principe depuis les temps de Robert d’Artois. A cet égard, il se montra toujours des plus chatouilleux. Ainsi, en 1498, le jour de la fête de Saint Vaast, un prédicateur ayant qualifié, dans son sermon, les abbés et religieux de Saint Vaast de seigneurs d’Arras, fut, sur les réquisitions des officiers du prince et de ceux de la ville, obligé de se rétracter publiquement.
Nous sommes arrivés au moment où Arras va passer sous la domination française. Philippe IV, roi d’Espagne, ayant succédé dans le comté d’Artois à sa nièce Isabelle Claire Eugénie, et la guerre ayant éclaté entre ce prince et Louis XIII, les maréchaux La Mailleraye, Châtillon et de Chaulnes assiégèrent et prirent Arras en 1640. Ce siège est remarquable par les sentiments d’attachement dont les habitants d’Arras firent preuve envers l’Espagne. On peut même dire que si la garnison avait été aussi énergique qu’eux, les Français auraient peut-être échoué dans leur entreprise. La faiblesse du gouverneur rendit inutiles les efforts que le Cardinal-Infant tenta pour secourir la place. Une capitulation fut signée au quartier général du maréchal La Mailleraye à Blangy. En vertu de cette capitulation, une amnistie générale fut proclamée, et tous les habitants qui voulurent quitter Arras furent libres de le faire dans un délai de deux ans. Quant à ceux qui restaient, le maintien de leurs privilèges et coutumes leur était garanti. Ainsi, à proprement parler, il n’y eut rien de changé à Arras, il n’y eut que quelques Français de plus et quelques Espagnols de moins.
Par suite de la réunion à la France, Arras passa sous l’administration des Intendants de Picardie, et reçut pour gouverneur le fameux Saint-Preuil, si connu par ses aventures romanesques et par sa fin tragique. Un nouveau mayeur dut aussi être désigné comme il arrive après chaque révolution. Antoine de BELVALLET, seigneur de Famechon fut pourvu de cette charge en 1642 par commission de Louis XIII. Il la conserva jusqu’à sa mort arrivée en 1654.
Dès l’abord, le gouverneur eut à traiter avec l’échevinage une question plus grosse qu’elle ne paraît, c’est celle des Robes. Sous cette question se cachait un véritable intérêt pécuniaire. Les Robes étaient à l’échevinage ce que les épices étaient à la magistrature. Nous avons vu qu’on les concédait primitivement en nature. Mais en 1605, elles furent payées en argent, moyennant 125 livres. Dès lors le prix en fut fixé chaque année par le gouverneur. Saint-Preuil, prenant en considération les représentations qui lui furent adressées par les commis aux honneurs et le conseiller de la ville, sur les malheurs des temps qui privaient les échevins de leurs émoluments ordinaires, fixa le prix des robes à 180 livres. En 1661, il fut élevé à 300 livres. Les échevins avaient en outre un droit d’audition des comptes aux Etats de la province qui pouvait rapporter à chacun 110 livres. De plus leurs honoraires dans les procès-verbaux de scellés, inventaires et autres, montaient à 60 livres. La place d’échevin valut alors environ 500 livres. Plus tard, en 1705, M. de Bignon, intendant, fixa les robes à 400 livres, à condition que les échevins n’auraient plus ni cire ni vin. Leur charge rapporta alors 750 livres. Enfin elle s’éleva à 850 livres, avec exception des impositions de la ville et elle resta à ce taux jusqu’à la Révolution.
Dans les premiers temps de la domination française, l’échevinage déjoua assez adroitement une tentative d’usurpation du conseil d’Artois. Au renouvellement de la loi, les officiers fiscaux de ce conseil profitant de ce qu’au milieu des embarras de la conquête, on n’avait pas encore songé à renouveler les avocats et procureurs fiscaux de la gouvernance, essayèrent d’intervenir dans ce renouvellement. Mais les échevins remontrèrent au gouverneur que leur existence était bien antérieure à celle du Conseil d’Artois, qu’ils ne dépendaient de ce Conseil qu’en ce qui concernait l’appel des causes civiles et criminelles; que d’ailleurs leur intérêt était connexe à celui de la gouvernance. Cette dernière raison fut sans doute déterminante et les officiers du conseil d’Artois furent invités à s’abstenir.
En même temps, Louis XIII donnait une preuve éclatante de son respect pour la liberté des élections par la lettre suivante écrite à M. Le Vayer : " Ayant appris que l’office de procureur de ville d’Arras est vacant par la retraite du nommé MERCIER en pays ennemi, et que le corps de la bourgeoisie du dit Arras a accoutumé de pourvoir audit office qui est perpétuel, je vous fais cette lettre pour vous dire qu’en cas que le dit officier ait accoutumé d’estre élu et pourvu en la manière susdite, je trouve bon et désire que vous laissiez ceux de la dite bourgeoisie en liberté de choisir celui qu’ils estimeront le plus capable ".
Mais la ville d’Arras ne pouvait s’habituer à la domination française. Le siège de 1654 en donna la preuve. Sans la vigilance et l’énergie du gouverneur Mondejeu, les scènes de 1492 se seraient peut-être renouvelées. C’est le gouverneur qui marquait d’une fleur de lys rougie à blanc la bouche des magistrats et notables qui lui étaient suspects, en disant que, s’ils n’avaient pas les fleurs de lys dans le cœur, ils les auraient au moins sur les lèvres. Joseph le Bon n’aurait pas mieux fait ni mieux dit.
Louis XIV visita Arras en 1654 et 1667. Les relations du temps disent qu’il y fut reçu avec enthousiasme. Il est vrai qu’à cause de la pénurie de la ville, il refusa les présents d’usage. C’est à la suite du second de ces voyages que fut résolue la construction de la citadelle, dont les travaux furent confiés à Vauban.
L’année même de la levée du siège d’Arras, en 1654, Ignace de BELVALLET fut nommé mayeur à la place de son frère qui venait de mourir. Mais, étant devenu colonel d’un régiment d’infanterie, il crut, contrairement à l’usage, que la robe devait céder aux armes et résigna ses fonctions en 1684. Louis DESLYONS, écuyer, seigneur de Feuchy, obtint une commission du roi pour le remplacer.
Sous l’administration de ces deux mayeurs, il s’éleva entre le gouvernement et les échevins un conflit dans lequel ces derniers firent preuve de bien peu d’esprit de conciliation. L’intendant, M. de Machault, ayant voulu, en 1665, introduire dans l’échevinage quatre marchands en gros et ayant boutique ouverte, rencontra la plus vive opposition de la part des hauts et puissants seigneurs de la bourgeoisie. En 1670, au renouvellement de la loi, le gouvernement fit une seconde tentative; mais il céda, en 1683, croyant sans doute qu’il n’était pas obligé de se montrer plus libéral que les représentants des libertés municipales.
En 1664, le procureur avait cessé de présider au renouvellement de la loi. Ce soin fut laissé aux intendants des provinces. C’était un pas de plus dans la voie de la distinction des pouvoirs, ce grand principe administratif que Richelieu avait posé, que Colbert développa, et que la Révolution fit triompher.
Au reste, il paraît que de graves abus s’étaient introduits dans ces renouvellements annuels du magistrat; Louis XIV s’en plaint en maintes occasions. En 1664, il charge même l’intendant Courtin de faire recommencer les opérations. Le procès-verbal d’un de ces renouvellements nous indique comme les choses se passaient. Après la lecture de l’arrêt et de la commission, l’intendant désignait les quatre échevins qui étaient à la nomination du Roi. Leurs noms étaient remis aux échevins sortants, qui se retiraient dans la chambre aux armoiries pour examiner s’il n’y avait aucun obstacle à la réception. Cette formalité étant remplie, les échevins, comme représentant le corps et communauté de la ville, faisaient quatre nominations. Les huit ainsi nommés élisaient, suivant l’usage, deux échevins sortant de charge et deux nouveaux. Ainsi était complété le nombre légal de douze. Après avoir été constitué de la sorte, l’échevinage se transportait à l’église de la Madeleine, en compagnie de l’intendant, des officiers de la gouvernance et des permanens de la ville. Là, les échevins prêtaient serment entre les mains du mayeur; le serment était lu par le greffier civil, en dedans la balustrade du maître-autel, en présence des reliques apportées par le prévôt, religieux et officiers de Saint Vaast. Pendant cette cérémonie, la cloche Joyeuse ne cessait de bondir; ce sont les termes du procès-verbal. A la rentrée dans la chambre du conseil, l’échevinage et les officiers permanents prêtaient un nouveau serment de profession de foi en vertu du synode de Mons. Enfin le conseiller de la ville faisait le remerciement ordinaire à l’intendant et aux échevins. De tout temps, les discours ont été l’accompagnement obligé des installations. Sur ce point, nos pères faisaient peut-être encore, plus que nous, abus de l’éloquence d’apparat : il est vrai qu’ils ne connaissaient pas l’éloquence des banquets.
A l’époque où nous sommes parvenus, le corps échevinal se composait d’un mayeur nommé par le souverain, à titre viager, de douze échevins et d’un conseiller pensionnaire, depuis 1586, d’un procureur de ville, d’un greffier civil, d’un greffier criminel, depuis 1551, et d’un argentier. Il y avait en outre quatre commis aux ouvrages qui devaient être élus le second ou le troisième jour après le renouvellement de la loi.
En 1692, le principe de vénalité des charges auquel Louis XIV, à bout de ressources, était obligé de recourir, vint profondément modifier cet état de choses. La charge de mayeur fut achetée moyennant 50000 livres par Nicolas BOUCQUEL, secrétaire du roi près le parlement de Flandre.
Par le même édit, il fut créé, à Arras, sept charges d’assesseurs ayant voix délibérative, honneurs et prérogatives, rang et séance aux assemblées, processions et autre cérémonies immédiatement après les échevins. Ces assesseurs devaient être élus échevins privativement à tous autres habitants, en sorte cependant qu’ils ne pouvaient être élus qu’une fois seulement.
En 1693, les offices de greffiers et d’argentier furent créés à titre héréditaire. Les greffes, civil et criminel, furent payés moyennant 17000 livres chacun, l’office d’argentier fut payé 27300 livres.
Enfin, en 1695, la charge de conseiller pensionnaire fut également rendue héréditaire en faveur de PALISOT, moyennant 10000 livres.
Ce système dépossédait la ville de tout droit sur ses magistrats, qui devenaient de véritables fonctionnaires ne relevant que du gouvernement. Il fallut promptement aviser, au moins en ce qui concernait les offices de greffiers et d’argentier. Dès 1694, la ville les racheta; mais comme elle n’avait pas les fonds nécessaires pour ce rachat, elle mit ces offices en adjudication au plus offrant et dernier enchérisseur. Pour allécher les amateurs, on assura 2500 livres à l’argentier et 900 à chaque greffier. Ainsi la vénalité des charges municipales retombait de tout son poids sur les communes elles-mêmes.
Cette vénalité est le résultat le plus saillant du règne de Louis XIV pour la ville d’Arras. La politique du grand roi en eut encore un autre non moins funeste, ce fut le siège de 1712. Ce siège coûta cher à la ville, car il échoua en grande partie à cause des réparations importantes faites en 1710, par les échevins, aux fortifications. Pour subvenir à cette dépense, chaque échevin dut avancer une somme de 900 livres, soit 10800 livres en totalité. Mais ce sacrifice ne fut pas entièrement gratuit. En effet, un arrêt du Conseil d’Etat créa à leur profit des rentes au denier dix-huit, et on leur assura le droit de rester indéfiniment en place tant que leurs successeurs ne leur auraient pas remboursé leurs avances. C’est ainsi que les charges d’échevins devinrent vénales et que les derniers restes du régime électif périrent sous des besoins d’argent.
Le règne de Louis XV eut une action décisive sur l’Artois. Désormais cette province s’assimile complètement à la France et elle entre avec ses Etats dans la grande centralisation monarchique. La ville d’Arras obéit docilement à ce mouvement. Elle perd peu à peu toute liberté municipale. Les moindres affaires sont déférées au gouvernement par l’intermédiaire des intendants, comme aujourd’hui par celui des préfets.
Pourtant, en 1738, la charge de mayeur avait cessé d’être une propriété privée, par suite du remboursement fait par le magistrat de la somme versée par Nicolas BOUCQUEL. Les charges d’échevins furent également rachetées quelque temps après. L’échevinage reprit ainsi son ancienne organisation, mais l’esprit de l’institution était faussé; ce n’était pas l’argent qui pouvait le rétablir.
Le rachat de l’office de mayeur amena une singulière complication. L’affaire avait été négociée par Guislain de CROIX, natif de Saint Pol, échevin d’Arras, qui fut d’abord établi mayeur. Mais bientôt il dut reconnaître qu’il avait travaillé pour les autres. Un arrêt du Conseil d’Etat décida que le magistrat nommerait trois candidats, parmi lesquels le roi prendrait un mayeur. De POIX, Seigneur d’Angres, QUARRÉ Seigneur de Boiry Saint Martin et QUARRÉ de Beaurepaire furent présentés à l’agrément du roi qui choisit ce dernier. En vain de CROIX protesta contre l’arrêt du Conseil, le gouverneur, M. Le prince d’YSSENGHIEN installa avec une grande solennité son heureux compétiteur. A cet effet, le gouverneur suivi de dix carrosses de la principale noblesse, dit la relation que nous analysons, se rendit à l’hôtel de ville escorté de ses gardes et d’un détachement de la maréchaussée de la province. Il fut reçu au bas de l’escalier par le magistrat en corps, au bruit du son de la cloche Joyeuse et du carillon du beffroi, accompagné de salves de boîtes. Etant monté à la chambre des échevins, il y fit lire les lettres ou provisions du roi et après avoir déclaré les intentions de Sa Majesté, il proclama maire le Sieur QUARRÉ, qui fut immédiatement salué en cette qualité (Père Ignace).
L’hérédité des offices, chassée par la porte, rentrait par la fenêtre toutes les fois que la ville avait besoin d’argent. C’est ce qui arriva en 1738. Le gouverneur, M. Le prince d’YSSENGHIEN, voulut être logé dans l’hôtel de Gomiecourt. Mais comme l’échevinage ne savait où prendre les fonds nécessaires pour faire l’acquisition de cet hôtel, le mayeur offrit d’avancer les cinquante mille livres qui manquaient, à condition qu’on lui en servirait la rente au denier vingt et qu’il resterait en charge jusqu’au remboursement. Ce remboursement n’ayant pas encore eu lieu en 1742, au décès de QUARRÉ de Beaurepaire, sa famille ne manqua pas une aussi bonne occasion pour retenir l’office de mayeur. Dès le lendemain de ses funérailles, dit le Père Ignace, ses deux fils furent conduits à l’hôtel de ville par leur tuteur Jean Baptiste Joseph BOUCQUEL, chevalier, Seigneur de Sarton, ancien échevin d’Arras. Celui-ci les présenta au magistrat, s’offrant d’exercer la charge de leur père, sous le bon plaisir du corps de la ville, jusqu’à ce que l’un des deux fut en âge d’en faire lui-même les fonctions. Il fallait accepter ou rendre l’argent. On en référa à la cour et l’intendant, M. de BRETEUIL écrivit aux échevins que le roi acquiesçait à cet arrangement. Nous nous accommoderions assez mal d’un maire en tutelle; mais sous Louis XV on s’accommodait très bien de colonels au maillot.
Au reste, les fonctions de maire, pas plus que celles d’échevins, n’étaient précisément gratuites. Déjà, sous Philippe-Auguste, le mayeur recevait comme rémunération les vieilles mesures hors de service, les vieux bois à mariens et vieux hours qu’on ne pouvait plus mettre en œuvre, le revenant des harnais et vieilles bannières et, de plus, quelques droits d’afforage. Plus tard, il eut comme les échevins, le droit de robe et quelques autres revenus dont le total s’élevait à environ 800 livres. Enfin, en 1758, la ville ayant racheté tous les droits utiles attachés à l’office de mayeur, fixa définitivement les gages de ce magistrat à la somme de 1000 livres.
La nomination de Joseph BOUCQUEL donna lieu à un autre incident. Il était mousquetaire dans la deuxième compagnie. Or, le 23 janvier 1660, Louis XIV avait répondu solennellement au cahier présenté par les Etats d’Artois que dans les magistratures ne seront admis aucunes gens de guerre. On sauta à pieds joints sur cette difficulté et le 25 août 1743, Joseph BOUCQUEL assista même en uniforme au renouvellement de la loi. Ce fut lui aussi qui eut l’honneur de recevoir Louis XV à son entrée à Arras en 1744; mais on ne dit pas si ce fut en mousquetaire ou en mayeur. Cette entrée se fit avec beaucoup de solennité. Deux clefs d’argent furent présentées au roi en dehors de la porte Méaulens et il fut complimenté par le conseiller pensionnaire. Le corps de ville lui offrit ensuite quarante-huit pains et autant de bouteilles de vin.
Mais un grand évènement allait faire époque dans les annales municipales d’Arras, c’est l’édit d’union de la cité à la ville. Cet édit, daté de 1749, est toute une charte municipale; il importe d’en donner une analyse sommaire. En vertu de la réunion, d’assez nombreuses suppressions d’offices sont prononcées. Ces suppressions donnent lieu à des indemnités à la charge de la ville, qui est tenue d’en payer l’intérêt au denier vingt jusqu’au remboursement du capital. Après ces suppressions, le corps échevinal reste fixé ainsi qu’il suit : un grand-bailli, un mayeur, deux conseillers pensionnaires, neuf échevins, un syndic, un substitut, un greffier civil et criminel, un argentier et un lieutenant du bailli. Ces officiers ne pouvaient être choisis que parmi des habitants d’Arras. L’échevinage avait, en outre, six sergents à verge et six sergents de police. Parmi les neuf échevins, il devait y avoir deux gentilshommes, cinq avocats et deux notables. La première fois, les neuf échevins furent choisis par le roi pour trois années consécutives. A l’expiration de ce terme, un gentilhomme, trois avocats et un notable devaient sortir de charge et être remplacés par cinq autres personnes choisies de la manière suivante : un des gentilshommes et un notable par l’évêque et les trois autres, d’après le mode accoutumé. Il ne pouvait jamais y avoir dans le magistrat plus de deux échevins nommés par l’évêque. Les renouvellements eurent lieu ensuite comme d’habitude. Le mayeur, les deux conseillers pensionnaires et les neuf échevins avaient voix délibérative. Il en était de même du procureur syndic et de son substitut dans toutes les affaires où ils n’avaient pas requis. Les audiences se tenaient les mardi et vendredi de chaque semaine, à trois heures de relevée et les assemblées pour l’administration, les mêmes jours, à neuf heures du matin.
Ces dispositions furent complétées par un règlement intérieur. Ce règlement charge de la commission aux honneurs un gentilhomme et le plus ancien avocat; les deuxième et troisième avocats avaient dans leurs attributions tout ce qui concernait les eaux; les quatrième et cinquième avocats, les hôpitaux et autres établissements publics; un échevin gentilhomme s’occupait des logements militaires; les deux échevins notables surveillaient les travaux publics. Les audiences étaient tenues par tous les avocats.
Cet édit et ce règlement forment, pour ainsi dire, le dernier mot de l’organisation municipale d’Arras jusqu’à la Révolution. Nous pourrions arrêter là notre examen. Pourtant, afin d’être plus complet, nous indiquerons encore quelques-uns des faits qui marquent les derniers jours de l’échevinage.
C’est dans cette période que le magistrat fut autorisé, par arrêt du Conseil d’Etat, à faire abattre l’ancien rempart du côté de la porte d’Hagerue, entre la ville et la citadelle et à acquérir le terrain adjacent, ce qui créa un nouveau quartier. Au reste, le dix-huitième siècle fut pour Arras une période de constructions. C’est de là que datent le Palais des Etats, la Salle de spectacle, l’Arsenal, le Manège et surtout l’abbaye de Saint Vaast. Sous ce rapport, le XIXème siècle ne parait devoir le céder en rien à son devancier.
Tous ces embellissements et ces reconstructions ne s’opèrent pas sans froisser quelques intérêts et sans susciter bien des embarras aux administrateurs; à cet égard, les échevins d’autrefois n’étaient pas plus heureux que les municipalités de nos jours. Nous en citerons deux exemples.
En 1724, les Etats d’Artois voulurent faire construire une porte monumentale pour donner accès à leur hôtel, situé en face de l’église Saint Géry. Cette porte, empiétant sur la voie publique, les échevins s’opposèrent à la continuation des travaux. Mais le marquis de SALUCES, député ordinaire des Etats, ordonna aux ouvriers de ne tenir aucun compte de la défense faite. De là des contestations et presque des voies de fait. On en vint même, dit la relation, jusqu’à voir les mousquetons des archers de l’Etat bandés sur les échevins et leur suite. Le lieutenant du roi fut forcé d’intervenir. L’affaire se termina par où elle aurait dû commencer : on en référa à l’autorité supérieure. Le Conseil du roi désigna le lieutenant général d’Amiens pour examiner le différend et sur son rapport l’alignement adopté par les Etats fut suivi.
L’autre difficulté naquit de la résolution prise en 1730, par le magistrat, d’établir le pavé des rues en chaussée. Cette résolution lésait un grand nombre de propriétaires, qui élevèrent des réclamations. Mais, dit le Père Ignace, il a fallu prendre patience : l’on a préféré le bien général au particulier et l’ouvrage a été achevé. Nous ferons remarquer qu'il ne l'a été que très imparfaitement, car il y a encore bien des rues où la résolution de 1730 aurait besoin d’être appliquée.
La suppression de l’ordre célèbre des Jésuites semble aussi avoir créé de grands embarras à la ville d’Arras. Le Conseil d’Artois protesta d’abord contre cette suppression mais ses protestations étant restées sans effet, il rendit, le 5 avril 1762, un arrêt qui interdisait aux Jésuites d’enseigner dans toute l’étendue du ressort. Ce n’était pas tout de détruire, il fallait fournir au plus vite aux besoins de l’instruction. Une assemblée des notables, tenue à l’hôtel de ville, s’occupa de cette importante question. On y décida la nomination d’un principal aux appointements de 1500 livres, d’un préfet, de deux professeurs de philosophie et d’un de rhétorique aux appointements de 1200 livres et de quatre professeurs d’humanités recevant chacun 1000 livres. Telle est l’origine de notre collège. Des lettres-patentes du 30 mars 1765 en donnent l’administration aux officiers municipaux d’Arras.
Jusqu’à la fin, l’échevinage eut l’honneur de faire respecter les prérogatives de sa juridiction. Il les maintint envers et contre l’autorité militaire elle-même. Ainsi le 26 juillet 1773, des soldats du régiment de Berry ayant frappé un sergent de police, les échevins évoquèrent l’affaire à leur tribunal. L’administration de la guerre ayant décliné cette compétence, le chancelier écrivit au Conseil d’Artois pour arranger le différend moyennant 600 livres d’indemnité. Mais les échevins ne consentirent à cet arrangement qu’à condition que leur droit serait reconnu. Le chancelier acquiesça à cette condition et la ville fit remise au régiment de Berry des 600 livres qu’il devait payer. Pourtant L’échevinage ne manquait aucune occasion d’entretenir de bonnes relations avec les autorités supérieures. C’est ce qui lui faisait envoyer le 9 août 1754 une députation à Lille pour complimenter M. de BEAUMONT, nouvel intendant et en même temps il recommandait à la députation de s’arrêter à Saint Amand pour saluer l’ancien intendant. On voit avec plaisir que les puissances déchues n’étaient pas oubliées. Au passage de M. le duc de Choiseul, le magistrat se rendit au-devant de lui pour le complimenter et lui offrit 36 bouteilles de vin. Enfin, lors de l’entrée de Mme la marquise de Lévis, femme du gouverneur, on lui présenta trois corbeilles de confitures sèches. MM LEFEBVRE de Gouy et LALLART de le Bucquière échevins, furent chargés de se procurer les confitures et de les faire arranger dans les corbeilles, dit la délibération, avec la propreté convenable.
Malgré ces dispositions conciliantes, il paraît que l’administration municipale ne parvenait pas à plaire à tout le monde. Ainsi, en 1761, un Sieur de BRANDT de Marconne fit distribuer à Arras un factum contre les échevins, qui résolurent de poursuivre ce libelle dont le but était de rendre l’administration suspecte et odieuse, en articulant des faits faux ou empoisonnés et en déférant au public cette administration comme enveloppée dans les ténèbres de la confusion, comme contraire à toutes les règles et fuyant les regards de la justice. Cette rédaction n’est certainement pas un modèle de style : nous aimons à croire que les accusations portées contre l’échevinage ne valaient pas mieux.
C’est au milieu de tous ces détails de la vie administrative que le grand coup de foudre de 89 vint résonner à Arras. L’échevinage ne résista pas plus que les Etats de la province à ce cataclysme universel. La loi du 14 décembre 1789 dit que les municipalités, actuellement subsistant en chaque ville, bourg, paroisse ou communauté, sous le titre d’hôtel de ville, mairies, échevinats, consulats et généralement sous quelque titre et qualification que ce soit, sont supprimées et abolies. En exécution de cette loi, de nouvelles autorités municipales durent être nommées par ce qu’on appelait dans le langage du temps les citoyens actifs. L’échevinage d’Arras fut appelé à déterminer les conditions de ce nouveau mode électoral c’est-à-dire à consacrer lui-même sa propre déchéance. Une délibération du 22 janvier 1790 exige 45 sols de contribution directe pour être électeur et 7 livres 10 sols pour être éligible aux fonctions municipales. Cette délibération est contresignée DAIX de Remy, dernier mayeur d’Arras. Quelques pages plus loin on trouve sur les registres de l’échevinage, à la date du 8 février 1790, cette mention signée DUBOIS de Fosseux, premier maire : le présent registre a été clos aujourd’hui, attendu la formation de la nouvelle municipalité. C’est un monde qui finit et un monde qui commence.